Les affiches minimalistes de cinéma

C’est un projet intarissable.

Le principe, souvent, est d’isoler un élément de film et de le mettre en valeur sur l’affiche. Tout le jeu, outre l’aspect minimaliste, est, pour le public qui n’a pas vu le film, de l’interpeller pour susciter sa curiosité ; et pour le public qui connaît le film, de lui faire reconaître comme emblématique le choix de l’élément en question. Pour Farenheit 451 l’image paraît évidente car il s’agit là du propos même du film de Truffaut (mais aussi bien sûr du livre de Bradbury dont il est issu) ; pour Vol au-dessus d’un nid de coucous c’est après avoir vu le film que ce choix se comprend.

Le choix de l’élément peut être radical, et en la matière, il semblerait que plus le parti va dans ce sens et plus l’affiche est réussie : c’est le genre d’expression qui supporte assez mal la demi-mesure. Et quand (comme dans le cas de Viktor Hertz) on se permet d’établir des séries typographiques, on peut se retrouver aisément face à du grand art (voir la série des esperluettes : Sex and the City, Coffee and Cigarettes, etc.).

  

La conception graphique

Plus je réfléchis et plus je pense que l’élément en question (qui est à isoler) doit susciter une émotion au moins égale à laquelle il l’a suscitée dans le film. Dans le cas de Viktor Hertz, après tout nous n’assistons pas à autre chose qu’à un travail de conception graphique conventionnel, la différence réside dans l’extrême minimalisme. De plus il utilise ce graphème qui nous tend les bras et qui est omniprésent dans l’environnement urbain : le pictogramme ; et il en fait une affiche en l’arrangeant un peu. La série des Kubrick est plus ou moins bien réussie, car, comme pour toute série, le créateur va finir à un moment donné par sacrifier une bonne idée à la contrainte de départ. Il s’agit donc d’un choix délibéré.

Fiction & documentaire

Dans le cas d’un film documentaire, il me semble que ce n’est pas très différent de la fiction : il s’agit que le sujet développé soit fort, c’est tout. Dans le cas de Sicko (docu de Michael Moore), il se trouve que je n’ai pas encore vu le film (mais j’en ai entendu parler et je connais le propos) mais cet état de fait est intéressant car ma première impression est double : d’abord une impression de « cheap » à cause de la basse résolution (gros pixels, donc peu nombreux) ; puis la présence même de ces pixels pourraient rappeler l’omniprésence de l’informatique, donc d’une déshumanisation… la croix rouge et la loupe venant compléter la symbolique de la recherche et de la santé…  Le film parle de la quasi-inexistence de la couverture sociale aux États-Unis.
(On pourrait en plus, avec un effort de recherche soutenu, analyser la typographie : le caractère utilisé ici est un American Typewriter “bold”, qui exprime certes la machine à écrire, mais surtout qui rappelle le fameux logo de Milton Glaser (I love New-York) qui a été maintes fois copié et détourné depuis ; si c’est conscient, peut-être est-ce là un ressort ironique supplémentaire ?…)

 

Le McGuffin

J’ai quand même l’impression que plus l’élément isolé est petit, insignifiant, en un mot, anecdotique, plus la charge de l’affiche sera puissante : nous assistons alors à un décalage, qui peut provoquer toute la force du message. Les affiches des Dents de la Mer (Jaws en anglais) ou de Jurassic Park répondent magnifiquement à cette remarque.

 

L’élément devient alors symbole et il devient à partir de là assez simple de développer une affiche parlante. Le cas de la balise de mer dans Jaws est vraiment anecdotique, tandis que le téléphone qui pend est un élément primordial du film Matrix, de même que le moustique est l’origine de tout dans Jurassic Park (du sang fossilisé dont on reconstitue l’ADN).
Dans le cas des pas ou des chaussures dans Usual Suspects, on touche à du très subtil et je me garderai bien de développer, car beaucoup de gens n’ont pas encore vu le chef-d’œuvre de Bryan Singer et ce serait vraiment dommage car je livrerais immanquablement des clefs… Mais ce film est bourré à craquer de McGuffins (le handicap de Verbal Kimt, le mug, la chorale…), il n’y a qu’à se servir pour créer une affiche énigmatique. The Shining et Pulp Fiction regorgent également de ces éléments, prétextes au déroulement narratif ou au dénouement (l’attaché-case de Pulp Fiction, le tricycle ou la phrase obsessionnelle à la machine à écrire de Shining…). Je connais même quelqu’un qui était persuadé que La Clef était le titre du film de Hitchcock Le crime était presque parfait (Dial M for Murder). Ça en dit long sur la puissance du McGuffin (rendons à César… c’est bien le grand Hitch qui a inventé cette expression), à tel point qu’une affiche représentant une petite clé suffirait pour ce film…


  

 

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